CHANSON
Bertrand Belin

Être au monde. Comment se fait-on à l’idée d’être ici-bas, soumis aux aléas d’une existence plus surprenante que nous ? Être au monde, flanqué d’une altérité avec laquelle on doit composer, pour le meilleur et pour le pire. 

C’est ce que raconte le septième album de Bertrand Belin. Antidote idéal à nos angoisses, nos solitudes, mixture hybride de pop francophone incitant à l’ivresse des sens et des luttes. Remède à la banalité actuelle, car refusant toutes contraintes. De la liberté, il y en a toujours eu depuis le premier album éponyme de Bertrand Belin, en 2005. Mais elle irradie ici comme dépourvue de filtres, ignorant les coquetteries et le brouillard actuel.
Droit à l’âme, donc, ce Tambour Vision, confectionné dans le home studio de Bertrand Belin, en banlieue parisienne, de janvier à octobre 2021. C’était peu après le tournage de la comédie musicale des frères Larrieu, Tralala, où il confirme un talent d’acteur déjà appréciable lors de ses concerts. Cette expérience filmique n’aura pas d’incidence directe sur l’enregistrement qui s’ensuit, hormis ce sentiment de se reposer de soi-même, l’espace de quelques mois, pour les besoins d’un rôle. Une « mise en jachère », dit Belin, une régénération existentielle qui explique sans doute le « plaisir décuplé » à faire ces nouvelles chansons.
Si Tambour Vision a été fait en huis clos, c’est une véritable camaraderie qui l’anime, celle partagée avec le complice de longue date Thibault Frisoni. Lequel s’est investi ces dernières années dans la collection et le maniement des synthétiseurs, ces instruments « à mi-chemin entre la production et l’interprétation ». Au fil du corpus de Belin, le synthétique s’est infiltré, occupant désormais pleinement le vocabulaire musical. Une fois réalisé et arrangé, Tambour Vision a été déposé entre les mains expertes de Renaud Letang qui a permis d’aller au bout du processus créatif et de sublimer le potentiel des chansons.

En résulte un album tout en contrastes, aussi bien sonores que sémantiques. Les boîtes à rythmes nous saisissent, la guitare se fait plus discrète tandis qu’un Mellotron, avec son souffle et ses défauts, se distingue parmi les autres claviers. D’où le vent et le cuivré. Un son instantanément familier. Et une appréhension libre du classicisme. La pulsation remplit tout. Comme un groove insidieux qui « va directement aux muscles », qui va prendre toute son ampleur sur scène. Tambour Vision appelle à la danse, ce « poème ininscrit ou détracé » d’après un Alain Badiou commentant le Zarathoustra nietzschéen, qui ne croirait « qu’en un dieu qui sait danser. » D’ailleurs, l’une des variations de son champ lexical touche au liturgique : la messe, la prière… En évoquant la longueur de l’Angélus comme du phallus, Belin remet en question des crédos sexistes. Mais en se montrant plus espiègle qu’iconoclaste.
 

© Edgar Berg